samedi 9 mai 2015

The Goddess Hekate de Stephen Ronan, Partie 5

Les Soupers d'Hécate de K.F. Smith
Traduction et adaptation de Serpentine

Carrefour sur un site gallo-grec - Vaucluse - photo de Serpentine
Les soupers d'Hécate (deipna hekatês ou bien encore Hekataia ou Hekatêsia) étaient des offrandes laissées aux carrefours chaque mois à la déesse.
Le but n'était pas seulement d'apaiser l'effrayante déesse mais aussi, nous l'apprenons par Plutarque (Moralia, 709 A), d'être « apotropaioi » c'est-à-dire de repousser les fantômes sans repos ne pouvant demeurer dans leurs tombes et qui reviennent sur terre en quête de vengeance.
Une armée d'êtres invisibles et malfaisants répondant à l'appel rugissant de leur meneuse et reine au milieu de la nuit.

En réalité, ces offrandes sont un dérivé spécifique d'un culte primitif rendu aux morts. Et dans une certaine mesure, cette offrande spécifique est reconnue comme étant adressée à une Hécate dont nous avons déterminé qu'elle est une divinité recomposée.
Elle fut une déesse lunaire, et probablement même une déesse des routes tout autant que du monde souterrain. Et déterminer laquelle de ces trois fonctions fut attribuée dès l'origine est un autre sujet. Cependant, cela ne nous concerne pas ici attendu que l'amalgame était déjà acquis bien avant le Plutus (594 ff) d'Aristophane dans lequel nous trouvons la première référence sur le sujet.

Les soupers d'Hécate étaient déposés aux croisements. La triple déesse est clairement identifiée au point de rencontre de trois routes nommé « trioditis » « trivia ». Les carrefours sont aussi des lieux reconnus comme étant toujours hantés par les fantômes des morts sans repos.
Au sujet des jours au cours desquels les offrandes étaient faites, les témoignages semblent contradictoires au premier abord, créant une confusion pour les chercheurs modernes.

D'un côté nous pourrions dire que le moment était « à la nouvelle lune », ou plus exactement comme le rapportent les érudits au sujet d'Aristophane (Plutus, 594) « kata tên noumênian...herperas », c'est-à-dire la veille de la nouvelle lune. Cette déclaration est tout à fait en accord avec le caractère et les fonctions de la déesse. La date du sacrifice était déterminé, du moins originellement, par la première apparition de la nouvelle lune qui serait vue comme Hécate elle-même revenant du royaume d'Hadès. Les offrandes aux morts étaient alors faites ce jour.

D'un autre côté, il est également dit que les sacrifices à Hécate et les offrandes apotropaïques étaient faites le « trentième », c'est-à-dire le dernier jour du mois selon le décompte grec. Ce jour était consacré aux morts. En fait, à Athènes, les trois derniers jours du mois étaient dédiés aux puissances du monde souterrain et considérés apophrades (néfaste). Les deipna étaient donnés à Hécate et aux apotropaioi, les libations dédiées aux morts, etc.

La divergence sur les dates toutefois est une apparence. Les grecs déterminaient le temps en année lunaire, ce qui est le cas durant la prime période des sacrifices. La veille de la nouvelle lune se produisait donc le treizième jour de chaque mois. Le calendrier réformé ne prend pas en compte les phases lunaires. Néanmoins, la vieille habitude d'appeler le premier jour du mois « noumênia », jour de la nouvelle lune », persiste depuis un temps indéfini.
De là, quand l'érudit mentionne«  à la veille de la noumênia », il a sans doute à l'esprit le trentième jour du mois selon le nouveau calendrier. Il semble certain ensuite, partiellement sans doute dû au fait que le nombre trois et tous ses multiples sont particulièrement sacrés pour Hécate, que les sacrifices sont rattachés au trentième jour, en dépit du fait que, quand le calendrier fut réformé, la raison première du choix de date devint caduque. Il est possible bien sûr que le rite fut également réalisé dès l'apparition de la nouvelle lune aussi bien que le trentième jour du mois. Mais cela ne peut être prouvé actuellement.

Une référence dans l'Hécate de Diphilus et un passage de Philochorus – également mentionné par Athénée, 645 – souligne que la veille de la pleine lune (le treizième jour du mois de Mounichion (cfC.A. Lobeck, Aglaophamus, Konigsberg, 1829, p 1062)) Hécate était commémorée aux carrefours avec un gâteau orné de bougies connu sous le nom d' « ampiphôn ».
Ce prototype frappant du gâteau d'anniversaire était aussi un aliment de rigueur. Il semble également que cette observance de la pleine lune provint, de façon tardive, d'Artémis.
Comme c'est habituellement le cas avec les offrandes aux morts, les soupers d'Hécate du treizième jour du mois étaient composés de nourriture. Les ingrédients, du plus loin qu'il en soit fait mention, étaient les « magides », un genre de pain ou de gâteau dont les ingrédients et la forme ne sont pas précis, les « mainis », un petit poisson, du « skoroda », de l'aïl, du « triglê », du mulet (un poisson), des « psammêta », un gâteau sacrificiel décrit par Harpocrate comme du même genre que le « psaista », des œufs, du fromage et peut-être des « basunias », un genre de gâteau dont la recette est donnée par Semus dans l'Athenaeus, XIV.545 B.

Certainement qu'une partie ou la totalité des éléments dans ce dépôt cérémonial étaient considérés comme possédant quelques vertus particulières ou alors cette association est recommandée pour Hécate et sa suite.
Par exemple, comme la croyance ancienne et répandue que le coq est le symbole du soleil et que tous les âmes vagabondes doivent se soumette à son invocation et retourner d'où ils viennent. Probablement que c'est une des raisons pour lesquelles les œufs sont régulièrement associés au culte des morts. Dans beaucoup de cas cependant, le choix des éléments composant un sacrifice est dû à leurs propriétés et associations au culte. La croyance, par exemple, que l’ail est souverain contre les vampires serait le résultat de cet usage le cadre-ci.
Si, également, le fait évident que le « triglê » ou mullet était sacré pour Hécate est suffisamment expliqué par le conservatisme religieux. Diverses autorités mentionnent qu'Athénée donne des explications à ce sujet, bien que ce soient des idées et des théories tardives.

Toutefois il se peut que la nourriture ainsi offerte avait un but prophylactique – détourner l'« enthumion », la prompte colère d'Hécate et des fantômes.
De là, si Roscher a raison, le titre d' « Eucoline » qui est attribuée à la déesse par Callimaque incarne alors réellement la fervente prière du dévôt à cette occasion pour une digestion facile.

Avec les soupers d'Hécate, il peut être inclus les biens nommés « katharmata », « katharsia » et « oxuthumia ». Tous les trois sont liés aux sacrifices expiatoires et purificateurs à Hécate qui sont réalisés à intervalles réguliers pour la maison et ses habitants. Ils sont déposés aux carrefours à l'attention d'Hécate et, comme c'est habituellement le cas, avec des offrandes pour les esprits invisibles et irritables. Le dévôt se retire « ametastrepti », sans un regard en arrière.
En somme, comme Rohde le suggère (Psyche, ii. 79, n.1), les trois cérémonies étaient sans doute confondues les unes avec les autres, et avec l' « Hekatês deipnon ».

Le sens général de « katharmata » signifie déchet, poubelle en tous genres. À ce sujet, selon un passage dans l'Ammonius ( p79, Valckenaer), « katharmata » ( « katharmata kai apolumata comme Didyme le dit dans l'Harpocration, s.V. Oxuthumia) signifie tout ce qui est sacrifié par la maison et qui n'entre pas vraiment dans la cérémonie. Ainsi, par exemple, l' « aponimma » composé d'eau et de sang souillés. Le « katharmata » était tout simplement sacré pour Hécate et, donc, déposé aux croisements.

Le « katharsia », d'un autre côté, semble avoir été la totalité de ce qui était laissé des sacrifices après la cérémonie achevée dans et autour de la maison. Parmi les éléments probablement inclus : les œufs et les chiens sacrifiés.
Il est notoire que ces derniers étaient sacrés pour Hécate et prenaient une part importante dans les rituels de nettoyages de la maison autant chez les grecs que chez les romains.
Avant d'être sacrifiés, ils devaient être touchés par chacun des membres de la famille. Ce procédé, « periskulakismos » , implique dans de telles occasions le plus vieil animal domestique de la maisonnée devienne le « pharmakos » , c'est-à-dire le bouc émissaire du foyer.

Un autre détail important dans ce rituel, et dans tous les autres similaires dans le monde, est évoqué par Plutarque (Moralia, 709 A) et décrit par Eschyle (Choeph. 9 (Kirchhoff)). Il s'agit de la fumigation de la maison. Après que cette dernière est réalisée, l'encensoir (un objet toujours en terre cuite) est déposé aux carrefours. En d'autres mots, dans cette cérémonie du « katharsion », le seul élément épargné est l'encensoir lui-même qui sera offert.

Nous avons appelé cette cérémonie une fumigation car ce sont les mots des érudits eux-même « kathairontes tên oikian ostrakinô thumiatêrio » > purifiant la maison avec un encensoir en terre cuite. L'opération était assez familière. Quelques interprétations différentes de ces mots ont eu une influence considérable sur le débat moderne à propos de l' « oxuthumia ».
Il est déterminé que ce qui est brûlé dans l'encensoir diffère de la composition utilisée lors du katharmata ou katharsia. Et que le procédé était en lui-même l' « oxuthumia ».
Cela, à cause d'un dérivé du mot « thumon » « thyme ». Si cela est vrai, les anciennes autorités jugées les plus sûres sont dans l'erreur. La plupart d'entre elles identifient l' « oxuthumia » au « katharmata », ou au « katharsia »le moins souvent.Pour autant que nous le savons,aucun d'eux n'étaient brûlés.
Sans tenir compte de l' « aponimma », qui pourrait ne pas être brûlé, nous savons qu'après que le chien soit sacrifié, la dépouille est déposé à un carrefour. Nous pensons que les œufs déposés étaient crus (schol de Lucian, Dial. Mort. I 1, p 251, Rabe) mais aussi, si nous croyons ce que Clement Alexandrinus (Strom. Vii. 844 ) évoque de ce sacrifice, qu'ils sont parfois affirmés être « zôogonoumena », capable de remplir leurs fonctions naturelles.
Et probablement que la théorie selon laquelle l' « oxuthumia » est relié au « thumon » amène plus de confusion que de clarté. Habituellement l' « oxuthumos » souligne l'idée d'un caractère fort et prompt à la colère. Les écrivains actuels préfèrent toutefois adopter le point de vue de Rohde (i.276 n.) que l' « oxuthumion » serait plutôt l'idée d'un état plus emphatique contenu par l' « enthumion », un mot qui, comme nous l'avons vu précédemment, est presque technique dans ce domaine particulier. L' « oxuthumia » serait alors «  la cérémonie pour se prévenir du courroux d'Hécate et des fantômes ».
Ainsi, il devient un terme générique pour le « katharmata » ou « katharsia », et nous comprenons donc pourquoi les anciens lexicographes identifièrent tantôt avec l'un ou l'autre.

Toute interférence lors des offrandes aux Dieux est de fait considérée comme sacrilège et le coupable est passible d'une punition. Cela était particulièrement effrayant dans les cas d'offrandes aux morts. Par exemple, comme nous l'avons vu, le dévôt retire l' « ametastrepti ». Pour la raison qu'il puisse être effrayé par les esprits affamés si ils lui sont apparus. Hekate était supposée « attacher le coupable au carrefour qui s'était attardé à son souper » et le punir en le frappant de folie, ou d'une affliction similaire, ce qui est une spécialité d'Hécate.
En fait, un curieux passage dans Petronius, 134, souligne que même un simple et accidentel arrêt après le katharmata au carrefour étant considéré comme dangereux.
Théphraste dit que le supersitieux (char, XVI) «  si il aperçoit des festins avec de l'aïl à un carrefour, se détournera, déversera de l'eau sur sa tête et convoquera les prêtresses auquelle il apportera « a squill » (qui connaît ce mot?) ou un chiot pour une purification. ».
En dépit cependant des périls supposés qu'ils impliquent, autant que le fait notoire qu'ils étaient infects et peu agréables, les soupers d'Hécate étaient le plus souvent mangés par une personne.
Le motif le plus commun bien sûr étant la pauvreté.

Notre première référence est donnée par Aristophane, Plutus, 594, où Penia déclare que les riches ont le meilleur. Chremylus rapporte par la déclaration qu' « Hécate montre qu'être pauvre et affamé n'est pas une bonne chose. Elle demande que les serviteurs ou les riches lui donne un souper par mois que les pauvres prendront à peine sera-t-il déposer . ». Un véritable argument aristophanien !

Cela a été pris au pied de la lettre par les érudits, donnant lieu à des commentaires modernes à ce sujet, que les soupers d'Hécate étaient «  des repas laissés aux carrefours chaque mois par les riches au bénéfice des pauvres. »
Fréquemment les philosophes cyniques remplissent leurs escarcelles de soupers d'Hécate ou prétendent l'avoir fait. Et la référence à cette pratique était un lieu commun littéraire spécifique de leurs écrits.
Nous pouvions attendre cela d'une école dont la doctrine de retour à la nature se moque de toutes les conventions – religieuses ou autres – et singe toutes les usages des couches sociales les plus basses.
Parfois les soupers d'Hécate étaient soustraits dans un esprit de bravade comme dans le cas de la bande athénienne nommée les Apaches qui fut critiquée par Démosthène dans son discours contre Conon ( liv.19).

Tout du moins, Hécate était profondément enracinée dans le cœur de la population. De tous les anciens cultes, aucun n'a montré une aussi grande vitalité.
Au XI s. ap. JC, l’Église essayait toujours d'endiguer la pratique des offrandes aux carrefours.
Même aujourd'hui, les carrefours demeurent étranges et les chiens continuent de percevoir ce qui est invisibles au regard humain. Hécate elle-même mène les célèbres chevauchées sorcières du Moyen-Age, pendant qu'en Germanie le Chasseur Sauvage, et en Touraine la figure héroïque de Foulques Nerra, ce grand ancêtre des Plantagenêt, errant à travers l'obscurité accompagné d'un hôte immatériel, sont une claire indication que Hécate et ses suivants ont seulement pris un autre visage.

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